LA TRUFFE ET LE NORWICH.
A quelques temps de Noël,
afin de sacrifier à la tradition de la dinde farcie, je fis
l'achat fastueux d'une petite quantité de truffes.
Peu de temps auparavant, dans un
mensuel, un article avait attiré mon attention sur le cavage,
discipline canine peu connue.
Décidée à montrer à Bibi,
mon jeune Norwich alors agé de cinq mois, que déterrer
les bulbes de tulipes et de narcisses n'était pas le seul
intérêt du cavage, je lui fis goûter un petit
morceau d'une truffe et à son insu enfouis le reste dans
un coin du jardin.
J'appelais mon jeune élève
et avec force mimiques lui montrais ce que j'attendais de lui. Intrigué,
mais peu convaincu, ses plates bandes habituelles étaient
situées à l'opposé, il daigna s'approcher et
donner quelques coups de griffes.
Je
l'encourageais tant et si bien que Zézette, sa mère,
vint voir de plus près ce qui se passait et par imitation
se mit aussi à gratter.
Miracle, la truffe apparut; les
deux terriers se la disputèrent aussitôt et chacun
prenant sa part ils l'engloutirent à mon grand désespoir.
J'avais oublié cette tentative
quand quelques semaines plus tard, sur le retour de notre promenade
habituelle, je fus intriguée par le manège de mes
deux Norwich qui reniflaient, grattaient et se chamaillaient au
pied d'un buisson. Je m'approchais, et les ayant repoussés
non sans mal, je découvris une petite truffe au fond de l'excavation.
La même aventure se reproduisit
quelques jours plus tard, pratiquement sous les roues de la voiture
garée à l'emplacement habituel
lors des promenades dominicales et à un endroit extrêmement
fréquenté et par les gens et par les chiens.
Pour prendre la mesure de cette
aptitude nouvellement révélée, je décidais
d'aller sur le terrain. Un collègue chasseur, à qui
je contais l'histoire, amusé et curieux de voir à
l'oeuvre mes petites bêtes, accepta de me guider jusqu'aux
truffières naturelles qu'il connaissait.
Par
un bel après midi de février, nous voilà donc
partis, pour cet examen de passage. Après avoir cheminé
à travers bois, rocailles et fourrés, nous atteignîmes
un brulis, signe de truffes probables.
J'incitais mes deux candidats à
manifester leur talent. Bibi, le premier, comprit immédiatement
ce que je lui demandais: il mit le nez à terre, renifla à
plusieurs reprises et partit sur les traces d'un lapin dont il dégusta
bientôt les crottes.
Zézette, plus calmement,
fit un petit tour d'exploration, puis se mit à gratter et
à souffler.
J'arrêtais son élan et Mr.
Ricard, le chasseur, agrandissant le trou y découvrit une
magnifique truffe noire.
Mais pendant toute la demie heure
qui suivit, malgré nos encouragements, plus aucune manifestation
de nos deux terriers; plus de truffe ni de lapin.
Devant cette maigre récolte
nous refîmes une autre tentative sur un autre brulis. Echec
complet.
Le doute s'instaurant, nous décidâmes
de frapper un grand coup: la truffière en exploitation.
Mr. Ricard nous conduisit
jusqu'à un espace d'une centaine de mètres carrés,
cloturé d'une double rangée de barbelés et
flanqué de pancartes menaçant intrus et envahisseurs
de foudres légales diverses.
Peu enclins à passer outre,
mais décidés à poursuivre notre test, nous
entreprîmes de faire le tour de l'enceinte quand Zézette,
qui ne sait toujours pas lire, décida de passer sous le réseau
de barbelés. A quelques pas à l'intérieur elle
se mit à marquer un emplacement, puis un autre un peu
plus loin, puis une troisième...
C'est alors que la folie "rabassière" s'empara de notre chasseur
guide. Après un rapide coup d'oeil circulaire, il bondit
par dessus la méchante cloture, s'agenouilla et fouilla les
trois emplacements désignés. Puis attrapant Zézette
sous son bras gauche, il revint me montrer, avec un large sourire
de flibustier, le trésor des quatre splendides truffes qu'il
serrait dans ses mains.
Jugeant le test suffisamment probant
et ne voulant rester plus longtemps sur le lieu de l'exploit, nous
partîmes preuves en poches convaincre les derniers incrédules.
Depuis il n'est guère de
semaine où au cours de nos promenades dans les bois, Zézette
ne quitte le chemin, et queue frétillante, ne m'indique l'emplacement
des truffes qui distribuées à nos amis améliorent
nos relations et l'ordinaire de leurs omelettes.
Bien entendu, si lapins, renards,
sangliers, papillons ... lui laissent quelques loisirs, Bibi aide
sa mère de son mieux et tente de lui dérober ses trouvailles.
Devant une telle disposition, la
saison prochaine, nous envisageons de défier les grands spécialistes,
bergers allemands et autres truffiers, dans une discipline que nous
avons abordée avec naturel et passion et ne doutons pas un
seul instant du succès de la truffe du Norwich.
Lexique:
Zézette et Bibi ne sont que
les surnoms affectueux de nos deux Norwichs qui peuvent encore répondre
aux diminutifs de Nini-Belle, Zouzouille, Zigounette, Pipistron et
Zigounet.
Une rabasse: désigne une truffe
en Provence. Un rabassier est donc un chercheur de truffes et une
rabassière une truffière.
Brulis: lieu autour d'un arbre, chêne,
genèvrier ou olivier, pratiquement nu de végétation,
au sol semblable à celui d'une zone incendiée et révélateur
de la présence de truffes; c'est une rabassière.
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